Algérie : la mémoire en otage!

Publié le par chegrouche

Algérie : la mémoire en otage!
 

Débat : A propos de la citation de Ben M’hidi


Par Dr Chegrouche, Chercheur

 
In "Le Matin d'Algérie" en ligne, du le 27 Juillet, 2008


http://www.lematindz.net/news/1789-debat-a-propos-de-la-citation-de-ben-mhidi.html#art_comments

 

Dans une Lettre ouverte à Ould Kablia, président du « MALG », parue dans l’édition Le Matin d’Algérie (in
http://www.lematindz.net/), du 23 juillet 2008, signée Abdelkader Dehbi, la mémoire algérienne est pris en otage une nouvelle fois! Hier Abane, aujourd’hui Ben M’Hidi. Mémoire en otage des intrigues claniques!


L’auteur fait un diagnostic sur la situation en Algérie et c’est son droit le plus absolu. Lui contester ce droit revient à nier le combat de l’Algérie pour l’indépendance, la liberté et la démocratie. Mais ce droit ne lui confère pas le droit de se servir de la Mémoire avec une légèreté, pour la moins suspecte, pour justifier son argumentaire qui est probablement fondé ou partagé par de nombreux citoyens d’Algérie, mais il n’est pas l’objet de cette réplique.

 
Le présent ne porte ni sur le diagnostic ni sur les conclusions de l’auteur mais, sur le texte de citation mis en guise de préambule à sa lettre ouverte à Ould Kablia. L’auteur affirme qu’il est détenteur d’un « document inédit » de Larbi Ben M’Hidi (février 1957), confié par un « Grand Moujahid » dont le contenu est le suivant :


« Je voudrais être soumis à ces tortures, pour être sûr que cette chair misérable ne me trahisse pas. J'ai la hantise de voir se réaliser mon plus cher désir car, lorsque nous serons libres, il se passera des choses terribles. On oubliera toutes les souffrances de notre peuple pour se disputer des places; ce sera la lutte pour le pouvoir. Nous sommes en pleine guerre et certains y pensent déjà, des clans se forment. A Tunis, tout ne va pas pour le mieux; oui, j'aimerais mourir au combat avant la fin »(fin de citation).

 

 


Le débat porte donc sur cette citation suspecte pour ne pas dire fabriquée, une tentative qui participe à l’effritement de la mémoire d’Algérie dans une logique d’intrigues claniques.

* Sur le plan historique, le texte de citation ne peut pas être attribué à Larbi Ben M’Hidi. La « guerre des clans ou la lutte pour le pouvoir » est postérieure à 1957. La citation est contraire à sa pensée, à ses valeurs tant sur le plan moral que politique et même culturel : Il est connu pour ses valeurs de vie et de combat pour la liberté, l’indépendance et le devenir de l’Algérie.

* Sur le plan épistémologique, le recours à des citations en guise de référence est un procédé académique de validation ultime pour ceux qui sont dépourvus d’autorité scientifique et d’argumentaire validé depuis que la parole est bible ou citation.


Le procédé est malheureusement bien machiavélique. Il participe à une stratégie de mise en otage de la mémoire. Introduire un texte par une « référence » confère à son auteur érudition et couronne. Surtout quand la référence supposée est attribuée à un des pères fondateurs. La référence donne plus de crédit à l’argumentaire qu’il véhicule et le lecteur est supposé éphémère ou insouciant parce qu’il ne ferait pas l’effort d’authentifier la référence et, l’allégation devient projet ou référence historique. Voilà comment un texte apocryphe devient apologie depuis que la parole est bible et le prince est souverain. Les tutelles font le reste !


* Sur la forme, L’auteur attribue la citation à Larbi Ben M’Hidi qui lui « a été confié récemment par un grand moudjahid digne de foi » et qui « l'a autorisé à en faire état ». Euréka, la boucle est bouclée ! La source étant non-identifiée, la Mémoire prend en coup un nouvelle fois! Sinon, pourquoi ce recours à une tierce-référence ? Si le document qualifié « inédit » était authentique, l’auteur n’aurait pas besoin de superlatifs comme « grand », « digne de foi », pour le valider ! L’auteur est assujetti à autorisation ! Quel mépris pour le Savoir et la Mémoire ! L’auteur est sous tutelle, et peut-être, il ne sait pas que toute référence à la Mémoire, celle de Ben M’Hidi par exemple, est un droit pour tout combat de liberté. L’auteur a eu recours à ce type de procédé pour valider son diagnostic sur l’Algérie. Ceci exige réplique et clarification.


Le blog de l’auteur comme certains textes sur la Mémoire d’Algérie est en l’illustration : (je cite)

"Pourquoi les chiens perdent-ils à tous les coups au poker ? – parce qu'ils ne peuvent pas s'empêcher de remuer la queue dès ils ont un as de pique en mains!..." (in
http://abdelkader.blogs.nouvelobs.com/archive/2008/07/06/l-ideologie-de-l-eradication-de-retour-en-algerie.html)

Et pourtant, c’est vrai ce qui disait l’auteur de cette citation! Les « Tiers-instruits » de la Mémoire d’Algérie perdent à tous les coups par qu’ils ne peuvent pas s’empêcher de porter préjudice à la Mémoire des Martyrs dès qu'ils ont un « as de pique » remis en main par une tutelle !

 

Larbi Ben M’Hidi n’est pas suicidaire, il aime la vie ! Son dernier chant était « Tahia El Djaïr !», c’est-à-dire, qu’il était toujours pour la vie, la vie pour l’Algérie! Tahia, Hayat, Vive, la vie !


* Sur le fond, l’auteur ou la « tierce-référence » porte de la haine pour les valeurs de liberté et d’indépendance auxquelles Ben M’Hidi a consacré toute sa vie. La mémoire est travesti par la haine de soi et le déficit identitaire. Comment peut-on imaginer un seul instant que Ben M’Hidi l’homme des beaux-arts, l’illustre dirigeant, le modeste combattant, le martyr des martyrs, pouvait prononcer de tels propos, insensés et méprisant pour sa mémoire et celle de tous les martyrs.

1. « Je voudrais être soumis à ces tortures, pour être sûr que cette chair misérable ne me trahisse pas ». Ces propos ne reflètent que la pensée de l’auteur ou de sa tierce-référence, sa tutelle. Ben M’Hidi aime la vie et il a toujours combattu l’oppression coloniale et la haine de l’autre. La torture et la haine étant le propre de tout système totalitaire. Ben M’Hidi n’a jamais accepté une quelconque soumission ! Même dans sa captivité, il était combattant en refusant les ordres de ses tortionnaires. A la même époque, le « Grand Moujahid digne de foi », la tierce référence, vivait sûrement à Tunis, aux frais de la générosité arabe et internationale ! Celui qui hait la vie, n’aime pas le combat. Ben M’Hidi aime la vie et le combat pour l’Algérie. Son sacrifice permet à l’auteur et sa tutelle d’investir en Algérie et peut-être, à l’étranger!

2. « J'ai la hantise de voir se réaliser mon plus cher désir car, lorsque nous serons libres, il se passera des choses terribles. » Quelle négation ? Quelle hantise pour la Mémoire d’Algérie? L’auteur ose parler d’un « grand moujahid digne de foi » ! « La chose la plus terrible pour le peuple algérien est l’oppression coloniale » disait Ben M’Hidi, qui n’aurait jamais pris l’initiative du combat pour des conjectures infantiles : Qui va gouverner l’Algérie après ? Il a pris l’initiative pour la libération, pour l’Algérie algérienne ! La question de la gouvernance démocratique post-coloniale est un autre combat. Un combat déjà inscrit dans la déclaration de Novembre et dans celle de la Soummam. Laissez la Mémoire en dehors des querelles pour la rente pétrolière. Prenez-la et laissez la Mémoire d’Algérie, la rente de notre algérianité, une rente mémorielle pour nos enfants !

3. « On oubliera toutes les souffrances de notre peuple pour se disputer des places; ce sera la lutte pour le pouvoir. Nous sommes en pleine guerre et certains y pensent déjà, des clans se forment. A Tunis, tout ne va pas pour le mieux; oui, j'aimerais mourir au combat avant la fin ». Des propos fabriqués pour un dessin machiavélique d’un auteur qui respire le mépris. Ben M’Hidi n’est pas un simple soldat qui doit obéir un ordre de combat mais, un illustre dirigeant qui avait en charge, avec ses compagnons, la direction de la Révolution, le devenir d’Algérie, le projet de l’Etat démocratique et social. Il n’est résigné, ni suicidaire, ni rentier. Il est l’artisan de la déclaration de Novembre. Son seul désir est de libérer le pays, peuple et terre d’Algérie, du joug colonial! Les clans se forment et se déforment comme toujours ! La lutte pour le pouvoir n’est pas uniquement une obsession algérienne. Un peu de pudeur tout de même ! Quelle haine de soi ! Quel déficit identitaire !


Laisser Larbi Ben M’Hidi loin des polémiques et des intrigues des pouvoirs ! Laisser les Martyrs d’Algérie en paix ! Les martyrs ne reviendront pas pour en témoigner, ni maintenant, ni les siècles prochains. Qu’ils reposent en paix ! Qu’ils reposent surtout loin des polémiques politiciennes et des intrigues claniques! Ils n’ont pas besoin de monuments, ni d’idéologie, ni d’incarnation et encore d’un messie pour honorer leur mémoire. Ils sont la Mémoire d’un peuple, d’une patrie, d’une histoire : l’algérianité en partage et l’Algérie en devenir ! Elle est honorée dans le combat pour l’indépendance de l’Algérie, la liberté de son peuple et la gouvernance démocratique du pays. Le peuple en étant l’artisan comme le disait avec art et modestie le martyr des martyrs Si Larbi : «Mettez la révolution dans la rue et vous la verrez reprise par tout un peuple ! ». « Eternelle Algérie algérienne ! »


Par Dr Chegrouche, Chercheur


L’article est également repris par la presse et organismes spécialisés dont l'Institut Hoggar


Voir l'article à l'origine de la polémique :

Abdelkader Dehbi : Lettre ouverte à M. Ould Kablia, président du MALG - Le Matin DZ ...

Publié dans Histoire

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