L'Algérie : "Gouvernance économique : entre scepticisme et illusion de succès”

Publié le par chegrouche

Entretien in Liberté Economie 
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Edition du Mercredi 17 Octobre 2007 

“Gouvernance économique : entre scepticisme et illusion de succès”

 

Par le docteur Chegrouche, Docteur en sciences économiques, chercheur en économie et

stratégie à Paris

  

Liberté économie : Quelle lecture faites-vous des différentes phases qu’a connues la libéralisation du marché algérien ?

Dr. Chegrouche : Parler de phases dans le processus de libéralisation en Algérie sousentend la présence d’une stratégie de réformes économiques conçue et conduite par les pouvoirs publics en vue de rendre l’économie productive, efficace et compétitive par rapport aux marchés concurrents. Ceci suppose que la gouvernance économique a la primauté sur la régulation libérale, parce que le marché est au service des intérêts stratégiques d’un pays. Il est illusoire de penser le contraire, le faire relève pour le moins d’une méconnaissance des réalités industrielles et économiques dans le monde. L’Algérie n’étant une planète à part ! La libéralisation des marchés en Algérie procède d’une politique de tâtonnement sans gouvernance et sans que les préférences et les enjeux économiques et sociaux ne soient évalués au préalable. La régulation du processus est plutôt confiée à des apparatchiks du “socialisme spécifique” convertis ou à des apprentis d’un “libéralisme transposé”. Le seul référentiel d’appréciation de ce processus de libéralisation reste l’Etat et les effets des injonctions des institutions internationales à la conformité et à la globalisation des marchés. Nous avons déjà évoqué ce questionnement dans un papier paru en 2006, dans la presse internationale et algérienne sous le titre "Enjeux et préférences en Algérie, face à la convergence économique et à la globalisation des marchés ?"

Nous pouvons néanmoins esquisser trois périodes de gouvernance économique et de dérégulation libérale (ou déréglementation) en Algérie, qui s’étalent sur 25 ans et non trois phases d’une seule et même stratégie d’Etat dans ce processus de libéralisation, parce que la politique des réformes en Algérie n’est pas toujours la même. Par contre, le mode de régulation libérale et les exigences internationales pour l’ouverture de l’économie de l’Algérie au capital privé algérien et étranger, sont invariables, à savoir : la première période se caractérise par une pratique bureaucratique d’un “libéralisme spécifique”, “un libéralisme à l’algérienne” appelé à l’époque, sous le vocable de “restructuration des entreprises”. Une période qui a démarré en 1982 pour s’achever en 1992. Ce type de libéralisme a conduit à un désastre économique, une situation de rupture des principaux équilibres macroéconomiques et à l’effondrement de l’identité capitalistique et travaillistique de l’entreprise. Cette situation a fait le lit pour ne pas dire, elle a amplifié la crise politique et sécuritaire qui en a suivi. Nous soulignons à cet effet deux caractéristiques : la désagrégation de l’identité capitalistique de l’entreprise et l’effritement de son capital productif sous un prétexte abstrait d’une plus grande atomicité des acteurs pour faciliter leur mobilité et l’efficacité des marchés. C’était l’époque de la chasse au monopole. Pourtant, le monopole naturel étant une situation économique d’une normalité basique au même titre que celle de la concurrence pure et parfaite. C’est l’abus de position dominante qui n’est ni souhaitable, ni soutenable. Au lieu de s’attaquer à l’abus de position dominante et de réguler le monopole naturel, on a détruit l’entreprise. D’une entreprise, on a créé une dizaine. Par exemple, Sonatrach et Sonelgaz, deux entreprises laborieuses mais surtout stratégiques, ont donné naissance par procédé in vitro à 27 entités non définies ! La logique économique exige la concentration du capital pour tirer profit des économies d’échelle et d’envergure. La taille critique permet de faire face à la concurrence internationale. La logique de régulation, qui procède de ce libéralisme à l’algérienne, allait à contresens des évolutions économiques dans le monde et de l’histoire des groupements industriels modernes. A la même époque, les concurrents de Sonatrach par exemple ont vu leur capacité productive et commerciale augmenter de trois fois ! Au socialisme spécifique de l’époque, on a opposé un libéralisme spécifique sans gouvernance. Un libéralisme générateur d’une économie de bazar, avec une multitude d’acteurs sans scrupule que l’imaginaire algérien a qualifié de “trabendiste”. Le délire d’un béni devient pratique chez l’égaré selon l’adage “Diroha wali, Tohsol fi zawali”. Il s’agit aussi de l’effondrement de l’identité managériale de l’entreprise par une prolifération des commandements d’entreprise par décret et sur budget public. Une prolifération qui a conduit à l’émergence des pratiques douteuses à tous les échelons de la gouvernance économique du pays. Le management de l’entreprise est anéanti et le bazar a rempli le vide. Une grave acculturation et un désinvestissement sans précédent. La gouvernance économique s’élabore désormais à partir de pratiques claniques sans aucun rapport avec l’efficacité des entreprises et la concurrence des marchés. On crée une entité pour le “fils” pour qu’il soit directeur général et une autre à l’image du bazar pour importer !

Le bilan de cette période de gouvernance ne pourra pas être fait parce que les responsables de ce fiasco et leurs relais ont même été promus “commandeurs” de l’économie du pays. Certains se sont convertis à un nouveau “libéralisme participatif”, d’autres ont élu chaire à Washington ou à Londres, pour expérimenter des prophéties libérales pour un paradis en Algérie, à condition que les réformes soient conduites à terme même contre la volonté de ses citoyens. La deuxième période a connu une pratique d’un libéralisme fondé sur le “contrat”. Il correspond à la mise en oeuvre des premiers contrats d’association et de création de sociétés mixtes pour s’achever par la promulgation de la nouvelle loi sur le gaz et l’électricité en 2002 (loi n°02-01 du 5 février 2002). Une pratique d’association et de partage qui a embrassé l’ensemble des secteurs et des acteurs. L’efficacité économique n’était plus appréciée par la création de la valeur ajoutée mais par la capacité de s’associer. La contractualisation produit certes plus d’efficacité sur le marché à la condition que les règles soient transparentes et élaborées au préalable pour évaluer leurs effets sur le bien-être collectif et le développement économique du pays. Si le contrat n’est pas transparent, le marché et le jeu d’acteurs reflèteront le rapport de forces où les intérêts occultes priment. Ce mode de régulation libérale reste certes pragmatique, mais il est intrinsèquement opportuniste. Les acteurs surfent dans le sens de la conjoncture et des affaires. Un pragmatisme qui découlait plutôt d’une exigence de la gouvernance pour ne pas aggraver la crise sécuritaire. En d’autres termes, nul n’était libre d’agir hors de l’équilibre instable du contrat même si l’association est de nature clanique ou affairiste. L’opportunisme révèle la montée en puissance d’une économie d’affaires. L’économie du bazar s’est mutée vers

l’émergence d’un puissant capital privé algérien avec des ambitions politiques affichées. Le spectre des affairistes est source d’inquiétude pour un développement durable et autonome du pays. El Khalifa Bank n’est que la partie visible de l’iceberg ! Le bilan de cette période de gouvernance économique et de régulation libérale reste mitigé.

 La troisième période correspond à une pratique d’inspiration néo-libérale. Elle rime avec “mondialisation et globalisation desmarchés”. L’Algérie a-t-elle la stratégie et les moyens de son insertion dans l’économie mondiale ? C’est tout le questionnement sur les raisons et l’ampleur des réformes en cours.

Quel est votre avis sur cette question ?

La globalisation des marchés, la déréglementation des industries et le désengagement de l’Etat apparaissent comme une préférence qui implique deux enjeux économiques. Le premier favorise la convergence entre pays, une dynamique économique de projets multilatéraux qui cherchent à créer des pôles de croissance et d’emploi. Le second se fonde sur une dynamique d’investissement direct étranger, qui peut s’accompagner d’une émergence d’un marché dominé par un petit nombre d’acteurs puissants, nationaux ou (et) internationaux.

Quels sont les effets de ces réformes ?

Les effets de ce train de réformes sur l’économie algérienne sont de nature à modifier les rapports entre acteurs et surtout les rapports de redistribution de la rente pétrolière et de la valeur ajoutée générée dans le pays. Après l’entrée en vigueur de ce processus de libéralisation, l’économie algérienne connaîtra-t-elle plus de croissance et d’emploi ou au contraire, elle sera davantage assujettie à l’extraversion économique, à la précarité sociale et au commerce informel ? Le débat va de controverse à conjecture pour les milieux d’affaires. Par contre, la gouvernance économique du pays vacille entre scepticisme et illusion de succès. L’Algérie gagnera davantage si ses préférences économiques et industrielles sont mieux hiérarchisées et les enjeux stratégiques définis.

L’Algérie aspire comme le reste du monde à un meilleur positionnement commercial et international. Les indicateurs économiques sont satisfaisants ; produit des politiques d’ajustement, de la croissance du prix du pétrole et du retour à la paix civile. L’économie du pays pourrait être plus dynamique et plus compétitive si le contexte contractuel est mieux maîtrisé et les choix d’investissement plus crédibles : accorder plus de préférence aux secteurs émergents c’est-à-dire, amplifier l’investissement dans ces secteurs créateurs de valeur et d’emploi. Réduire la contribution des hydrocarbures dans le PIB sans infléchir le niveau d’exportation c’est-àdire, créer plus de richesses dans les autres secteurs, parce qu’accroître les recettes financières principalement de l’exportation des produits énergétiques est simplement illusoire.

Comment estimez-vous le processus de libéralisation en cours ?

Dans le processus de libéralisation en cours, l’économie algérienne souffre plus de l’extraversion de ses marchés que du commerce informel de ses opérateurs, qui reste important (40%). L’inefficacité économique est à l’origine de ce commerce et le manque de goût est une propension à la contrefaçon. Le dysfonctionnement des flux des produits et des capitaux est résorbé par le commerce informel et la contrefaçon. L’informel mesure l’inefficience et l’extraversion. Le nouveau contexte peut aider à définir les meilleures trajectoires de croissance, d’attractivité et d’efficacité, contrairement aux mesures incitatives ou répressives des pouvoirs publics qui n’ont jamais réglé ce type de dysfonctionnement. La qualité de certains indicateurs macroéconomiques du pays ne doit pas masquer toutefois une réalité économique et sociale bien plus critique. Le processus de libéralisation a conduit par ricochet à l’alignement des prix du marché intérieur sur les prix internationaux par une logique d’importation des produits de consommation. Par contre, les salaires restent au moins cinq à dix fois plus bas que dans les pays où ces produits sont fabriqués. Une situation de la gouvernance économique ne mesure pas ses effets sur le bien-être collectif et surtout sur la paix sociale, notamment dans l’optique d’une libéralisation totale d’ici 2012.


Entretien réalisé par F. Aouzelleg

Publié dans Economie

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H
Parfait!
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E
Merci pour cette initiative!
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